
Le Maroc amorce un tournant décisif dans la régulation des Sociétés Civiles Immobilières (SCI) avec l’entrée en vigueur de la loi n° 31-18 et du décret n° 2.23.100 du 22 octobre 2024. Ces réformes, qui s’inscrivent dans le cadre de la modernisation du Dahir formant Code des Obligations et des Contrats, instaurent un cadre juridique revisité, fondé sur la transparence, la responsabilité et la sécurité.
En imposant une formalisation accrue des constitutions, des obligations précises pour les gérants et les associés, ainsi qu’un contrôle rigoureux des activités, ce nouveau régime aspire à transformer les SCI en structures fiables et transparentes, à même de limiter les abus et de garantir une sécurité juridique renforcée. L’objectif ultime est d’instaurer une gouvernance modernisée et de restaurer la confiance des parties prenantes – associés, gérants, tiers et professionnels du droit – tout en assainissant durablement le secteur immobilier.
I. Formalisation accrue de la constitution et du fonctionnement des SCI : Vers une transparence renforcée
A. Exigences strictes de constitution et de l’enregistrement :
La loi 31-18, en modifiant l’article 987 du Code des Obligations et des Contrats, élève le niveau d’exigence en matière de formalisation pour la constitution des SCI dont l’objet porte sur des biens immobiliers ou susceptibles d’hypothèque. Le contrat de société, acte fondateur de la SCI, doit impérativement revêtir une forme écrite, être enregistré et inscrit au registre des sociétés civiles immobilières. Cette formalisation accrue vise à consolider la sécurité juridique en garantissant l’authenticité des actes et en offrant aux tiers un accès fiable et transparent aux informations relatives à la SCI.
B. Mentions obligatoires du contrat de société : Clarté et précision
L’article 987-1 du Code des Obligations et des Contrats, tel que modifié par la loi 31-18, dresse une liste exhaustive des mentions devant figurer obligatoirement au sein du contrat de société. Ces mentions, essentielles à la compréhension de la structure et du fonctionnement de la SCI, incluent notamment:
· L’identification complète de chaque associé, incluant nom, prénom, adresse et numéro de pièce d’identité.
· La dénomination sociale de la SCI, élément distinctif permettant son identification.
· L’objet social de la SCI, définissant clairement le but et les activités de la société.
· L’adresse du siège social, point de référence juridique de la SCI.
· Le montant du capital social, exprimant la contribution financière des associés.
· La répartition des parts sociales entre les associés, déterminant leur participation au capital et aux bénéfices.
· La durée de la société, fixant la période pendant laquelle la SCI exercera son activité.
· L’identité des personnes habilitées à gérer et à représenter la SCI, définissant les pouvoirs de gestion et de représentation.
Le contrat de société doit être signé par l’ensemble des associés, et ces signatures doivent, en principe, être légalisées. La légalisation des signatures peut être dispensée si le contrat est établi par un notaire ou un adoul, garants de l’authenticité de l’acte.
C. Inscription au registre des SCI : Condition Sine Qua Non de l’existence juridique
L’inscription au registre des sociétés civiles immobilières, introduite par l’article 987-2, constitue une véritable pierre angulaire du nouveau régime juridique des SCI. Cette inscription est une condition essentielle à l’acquisition de la personnalité morale par la SCI et à son opposabilité aux tiers. En d’autres termes, une SCI non inscrite au registre est dépourvue d’existence juridique propre et ne peut agir en tant que sujet de droit autonome. Elle ne peut se prévaloir de ses droits ni engager sa responsabilité. Ses actes ne sont pas opposables aux tiers, ce qui signifie qu’ils ne peuvent produire d’effets juridiques à leur égard. L’obligation d’inscription s’étend également aux filiales des SCI, témoignant de la volonté du législateur de renforcer la transparence et la traçabilité des structures complexes.
D. Opposabilité aux tiers : Gage de sécurité et de transparence
Le principe d’opposabilité, principe fondamental du droit des sociétés, est réaffirmé avec force pour les SCI. La SCI n’est opposable aux tiers qu’à partir de la date de son inscription au registre. De même, les inscriptions modificatives (changement de gérant, modification du capital, etc.) et les radiations ne sont opposables aux tiers qu’à compter de leur inscription au registre des SCI. Cette règle offre aux tiers, tels que les créanciers, les acquéreurs potentiels de parts sociales ou les partenaires commerciaux, un moyen fiable de s’informer sur la situation juridique et structurelle de la SCI, limitant ainsi les risques et les litiges potentiels en renforçant notamment la sécurité juridique des transactions.
II. Tenue rigoureuse des registres internes : Un impératif de bonne gouvernance et de contrôle
Le décret n°2.23.100 impose aux SCI la tenue de trois registres internes, véritables piliers de la transparence et de la bonne gouvernance de la société:
1. Le registre des associés : Ce registre retrace l’identité des associés, leurs apports et l’évolution du capital social, offrant une vision claire et exhaustive de la composition et de la structure financière de la SCI.
2. Le registre des délibérations des assemblées générales: Il consigne les décisions prises collectivement par les associés lors des assemblées générales, garantissant la traçabilité et la validité des décisions majeures impactant la vie de la SCI.
3. Le registre des procès-verbaux de gestion: Il documente les décisions et les actions du ou des gérants dans le cadre de la gestion courante de la SCI, permettant un contrôle effectif de l’administration de la société.
Le décret n°2.23.100 accorde une certaine souplesse aux SCI en leur laissant le choix du format (manuscrit ou électronique) pour la tenue de ces registres obligatoires. Cependant, la digitalisation de ces registres est fortement encouragée pour des raisons pratiques évidentes. Elle facilite la mise à jour, l’archivage, la traçabilité et la consultation des informations, tout en offrant une meilleure sécurité contre la perte ou la destruction des documents. Toutefois, le décret reste relativement silencieux sur les modalités précises d’accès aux registres internes des SCI, ce qui nécessite de se référer aux principes généraux du droit des sociétés marocain et à une analyse contextuelle.
· Droit d’accès des associés : Les associés de la SCI jouissent, en principe, d’un droit d’accès permanent aux registres internes, garantissant leur droit à l’information et leur participation éclairée à la vie de la société. Ce droit leur permet de contrôler la gestion de la société, de vérifier l’exactitude des informations contenues dans les registres et de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
· Accès des autorités judiciaires et fiscales: Dans le cadre de leurs missions de contrôle et de poursuite des infractions, les autorités judiciaires et fiscales disposent d’un droit d’accès aux registres internes des SCI, sous réserve du respect des procédures légales et des garanties procédurales applicables.
· Accès des tiers non-associés: L’accès des tiers non-associés, tels que les créanciers ou les acquéreurs potentiels de parts sociales, est plus restreint. Ces tiers doivent justifier d’un intérêt légitime pour pouvoir consulter les registres internes de la SCI. L’accord des associés est généralement requis, et des mécanismes de protection de la confidentialité des informations sensibles peuvent être mis en place.
III. Responsabilités renforcées pour les acteurs clés des SCI : Vigilance et rigueur accrues
A. Responsabilité pré-inscription des fondateurs : Protection des tiers
L’article 987-2 introduit une disposition cruciale concernant la responsabilité des personnes ayant agi au nom et pour le compte d’une SCI en formation, avant son inscription au registre. Ces personnes, généralement les fondateurs de la SCI, engagent leur responsabilité personnelle pour les actes effectués au nom de la société avant son immatriculation. Cette responsabilité vise à protéger les tiers contractants qui pourraient être lésés par des engagements pris par une entité juridique non encore constituée.
Une fois la SCI inscrite au registre des sociétés civiles immobilières, elle reprend automatiquement les engagements pris en son nom avant son inscription, libérant ainsi les fondateurs de leur responsabilité personnelle. Cette reprise automatique des engagements offre une sécurité juridique aux tiers contractants tout en encourageant la formalisation rapide des SCI.
B. Responsabilité accrue du gérant : Un rôle central et des obligations élargies
Le gérant de la SCI, en tant que représentant légal et responsable de la gestion courante de la société, se voit confier un rôle central et des responsabilités accrues par le nouveau cadre juridique.
Le gérant est tenu de :
· Tenir à jour les registres internes de la SCI, en veillant à l’exactitude, à la fiabilité et à la complétude des informations qui y sont consignées. Le décret n’énumère pas de sanctions spécifiques en cas de manquement à cette obligation, mais tout manquement à ces exigences en matière de tenue des registres peut entraîner des difficultés lors de contrôles fiscaux ou judiciaires. La responsabilité du gérant peut également être engagée en cas d’inexactitude des informations consignées dans les registres. .
· Respecter scrupuleusement les obligations légales en matière de constitution, d’enregistrement, de publicité et de contrôle des activités de la SCI. Il doit s’assurer que la SCI agit conformément à son objet social et qu’elle ne s’engage pas dans des activités commerciales à titre habituel, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à la dissolution de la société.
En effet, l’article 987-3 introduit un contrôle des activités des SCI afin de prévenir l’exercice d’activités commerciales à titre habituel sous le couvert d’une forme juridique civile. Si une SCI exerce de telles activités, elle est tenue de changer de forme juridique pour adopter celle d’une société commerciale. La société dispose alors d’un délai d’un an pour se conformer. En cas de non-respect de l’obligation de changement de forme juridique, le tribunal peut prononcer la dissolution de la société sur demande du chef du greffe ou d’un associé. Un liquidateur est alors désigné et les procédures de liquidation prévues par le Code des obligations et des contrats s’appliquent.
C. Rôle prépondérant du notaire : Garant de la sécurité juridique
Le notaire, en tant que professionnel du droit impartial et garant de la sécurité juridique, joue un rôle crucial dans l’accompagnement des SCI tout au long de leur cycle de vie. Le nouveau cadre juridique renforce son implication à plusieurs niveaux :
· Constitution et enregistrement: Le notaire est un acteur incontournable de la constitution et de l’enregistrement des SCI. Il conseille les fondateurs sur le choix de la forme juridique, rédige le contrat de société en veillant à sa conformité aux exigences légales, et procède à l’enregistrement du contrat auprès des autorités compétentes.
· Authentification des signatures: Le notaire authentifie les actes importants de la SCI en apposant sa signature et son sceau sur les documents. Il authentifie notamment les signatures des associés et du gérant sur le contrat de société, les procès-verbaux d’assemblée générale et les actes de cession de parts sociales, garantissant ainsi l’authenticité des documents et leur force probante.
· Accompagnement et mise en conformité: Le notaire accompagne les SCI dans leur mise en conformité avec les nouvelles obligations du décret n°2.23.100. Il conseille les gérants et les associés sur les démarches à suivre, les aides à mettre à jour leurs documents et à régulariser leur situation administrative.
· Vérification de la régularité des inscriptions: Lors des transactions immobilières ou de cession de parts sociales impliquant une SCI, le notaire vérifie la régularité des inscriptions au registre des sociétés civiles immobilières. Il s’assure que la SCI est bien immatriculée, que ses statuts sont à jour et que les actes de gestion sont conformes aux dispositions légales, garantissant ainsi la sécurité juridique des opérations.
IV. Contrôle renforcé des activités des SCI : Prévenir les dérives et assainir le secteur immobilier
A. Prévention de l’exercice d’activités commerciales dissimulées
L’article 987-3 introduit un mécanisme de contrôle visant à prévenir l’utilisation abusive de la forme juridique de la SCI pour masquer l’exercice d’activités commerciales à titre habituel. Le législateur a souhaité éviter que la SCI, structure civile par nature, ne soit détournée de son objet social pour servir de couverture à des activités commerciales, faussant ainsi la concurrence et échappant aux obligations fiscales et sociales des sociétés commerciales.
B. Mécanismes de contrôle et sanctions
Le contrôle du respect de l’objet social des SCI est confié au chef du greffe du tribunal de première instance compétent. Ce dernier peut, de sa propre initiative ou sur avis des autorités compétentes (conservateur de la propriété foncière, direction des impôts, Trésorerie Générale du Royaume), diligenter une enquête pour vérifier la nature des activités exercées par la SCI.
Si l’enquête révèle que la SCI exerce des activités commerciales à titre habituel, le chef du greffe adresse une mise en demeure au représentant légal de la société, lui enjoignant de régulariser la situation en transformant la SCI en société commerciale dans un délai d’un an.
En cas de non-respect de cette mise en demeure, le tribunal peut prononcer la dissolution de la SCI sur demande du chef du greffe ou d’un associé. Un liquidateur est alors désigné, et les procédures de liquidation prévues par le Code des Obligations et des Contrats s’appliquent.
V. Dispositions transitoires : Accompagner la transition et faciliter la mise en conformité
Le décret n°2.23.100 prévoit des dispositions transitoires pour permettre aux SCI constituées avant son entrée en vigueur de se conformer au nouveau cadre juridique sans heurts.
Les SCI existantes, dont l’objet porte sur des biens immobiliers ou susceptibles d’hypothèque, disposent d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du décret pour s’inscrire au registre des sociétés civiles immobilières. Les SCI déjà inscrites au registre du commerce sont automatiquement transférées au registre des sociétés civiles immobilières dans le même délai.
Conclusion: Vers une gouvernance modernisée, transparente et responsable des SCI
Le nouveau cadre juridique des SCI, instauré par la loi n° 31-18 et le décret n° 2.23.100, représente une avancée significative vers une gouvernance modernisée, transparente et responsable de ces entités juridiques.
En renforçant les obligations de formalisation, d’enregistrement, de publicité et de contrôle, le législateur marocain a souhaité assainir le secteur immobilier, protéger les intérêts des parties prenantes et instaurer un climat de confiance propice aux investissements.
L’application effective de ce nouveau cadre juridique nécessite une collaboration étroite entre les professionnels du droit, les autorités compétentes et les acteurs du secteur immobilier. Le rôle du notaire, en tant que conseiller juridique, rédacteur d’actes, garant de la sécurité juridique et accompagnateur des SCI, est plus que jamais crucial pour assurer le succès de cette transition vers une gouvernance plus responsable et transparente des SCI au Maroc.
Invitation à la communauté juridique : Votre expertise peut enrichir le débat et clarifier certaines zones grises de cette réforme. Nous invitons les avocats, notaires, juristes et autres professionnels du droit à partager leurs expériences, poser des questions et diffuser cet article dans leurs réseaux. Ensemble, participons à l’amélioration de cette nouvelle réglementation pour répondre aux besoins pratiques et assurer une mise en œuvre optimale.
Cet article est co-rédigé par :
Maître Abdelmajid BARGACH, notaire à Rabat
& Maître Imad Eddine BARGACH, titulaire d’un Master en Droit des Affaireshttp://hashtag#optimisationfiscale hashtag#transmission hashtag#patrimoine hashtag#succession hashtag#impôts hashtag#notaire hashtag#conseil hashtag#payageoffret hashtag#notairesrocbaron hashtag#notairesfrance hashtag#var hashtag#paca hashtag#marseille hashtag#nice hashtag#toulon